
Yves Van Vaerenbergh est professeur de marketing à la KU Leuven. Il y effectue des recherches relatives à l’impact de l’IA sur, entre autres, le customer contact. Par ailleurs, Yves est cofondateur de Kalepa, une spin-off de la KUL. Cette société assiste les entreprises dans la conception et la mise en œuvre de stratégies evidence-based pour l’expérience client, en plaçant le client au centre de leur démarche.
Yves : « Je discute en toute logique avec de nombreuses entreprises qui cherchent à intégrer l’IA dans leurs processus, leur centre de contact, etc. Ce que je remarque souvent, c’est qu’elles ont des attentes très élevées : « La tech est la solution ! Nous allons investir une seule fois et en récolter les fruits pendant des années. Et en plus, nous allons faire des économies. » Mon expérience me fait dire que ce n’est pas aussi simple. Mon keynote a donc pour but de ‘remettre les pendules à l’heure’. Il s’agit d’un retour à la réalité au cours duquel je pose plusieurs affirmations pour ensuite les confirmer ou les infirmer. Je peux même demander au public de voter (rires). Par exemple : mettre en œuvre l’IA requiert un effort unique. Oui ou non ? Non, bien sûr. L’IA mise en œuvre doit non seulement être monitorée, mais aussi mise à jour et alimentée avec de nouvelles données. And not just any data ! Une partie des économies réalisées en personnel grâce à l’IA devra donc être investie dans d’autres ressources afin de rendre cette IA rentable et efficace : ingénieurs, data scientists, etc. Les économies attendues sont moins importantes que prévu. En outre, des études montrent que les gains d’efficacité sont inférieurs aux prévisions. Pas 30, 40 ou 50 %, mais seulement 15 %. La satisfaction client change rarement. Ce n’est pas mal, c’est appréciable, mais moins que ce qui avait été projeté. »
Y a-t-il des effets secondaires de l’IA auxquels les entreprises ne pensent pas du tout ?
« Oui, par exemple, les gens ont plus tendance à tricher lorsqu’ils discutent avec un chatbot. Avec un être humain, nous sommes moins portés à le faire. Prenons un exemple : Air Canada. Un client était autorisé à échanger son billet et obtenait, durant le chat, toutes sortes d’avantages supplémentaires et autres surclassements, indépendamment du chatbot. Air Canada a refusé ces avantages, ce qui a conduit à un procès. Air Canada a perdu. Le chatbot a été considéré par le juge comme un employé et le client a obtenu tous ses bonus. »
Ces conséquences juridiques me font penser à la comparaison que vous faites parfois avec les voitures autonomes.
« Exactement. Tout le monde se souvient de ces superbes vidéos de démonstration de voitures autonomes que l’on voyait partout il y a environ cinq ans. Un trendwatcher prédisait même que son fils n’aurait jamais besoin de passer son permis de conduire (rires). Ces vidéos sont comparables à ce que nous observons actuellement avec ChatGPT. Avec l’IA, tout semble possible. Pourtant, cinq ans plus tard, le fait est que les voitures ne roulent toujours pas toutes seules. Personne ne s’inquiète d’une marge d’erreur de 5 % dans une vidéo ChatGPT, mais une voiture autonome doit fonctionner à la perfection 99,99999 % du temps. Pour que l’IA fonctionne efficacement (et que les voitures circulent sans accident), il faut investir, réglementer, disposer de données vérifiées, assurer un monitoring en continu, etc. C’est pourquoi avec les résultats de nos recherches, j’apporte du réalisme et de la nuance dans ce qui semble parfois perçu comme une croyance un peu féerique dans la technologie. »
Et en même temps, vous affirmez : aujourd’hui, une entreprise ne peut pas se permettre de ne pas investir dans l’IA.
« C’est vrai ! Car vos concurrents le font et ils disposeront donc d’AI-enhanced live agents capables d’aider leurs clients plus rapidement et plus efficacement que vous sans IA. »
Conclusion ? Vous plaidez pour le réalisme : une symbiose entre l’humain et la tech ?
« En effet, le balancier avait un peu trop penché vers une confiance naïve dans la tech. Depuis, nous recherchons un équilibre entre les humains, avec leur empathie et leurs imperfections, et l’IA, qui peut assister les live agents dans des secteurs bien connus : prise en charge de tâches simples et répétitives, proposition de solutions, recherche de cas pertinents, ‘lecture’ des émotions des clients, etc. Tout cela pour aider le live agent à servir ses clients plus efficacement, plus rapidement et avec davantage d’empathie. Un plus un égale trois si l’on implémente l’IA de manière correcte et intelligente. »
Et lors de votre keynote, vous fournirez des outils aux entreprises qui souhaitent implémenter l’IA avec les bonnes attentes et un réalisme nécessaire ?
« Oui ! Je tends un miroir à mon public : on dit et on promet beaucoup de choses. Pourtant, nous n’en sommes pas encore là. Le chemin sera plus long que prévu, et les coûts plus élevés que souhaités. C’est pourquoi je pars de ces postulats, que j’explique ou infirme pour fixer des attentes réalistes, puis je donne des trucs et astuces tirés de mon expérience que les entreprises peuvent mettre en pratique. »
Vous avez vraiment aiguisé ma curiosité pour le 20 novembre. Merci pour votre temps !